Marie-Dominique Cantal-Dupart est infirmière référente en neuro-oncologie depuis six années. Elle assure avec ses collègues la consultation infirmière du « dispositif d’annonce » et suit les patients tout au long de leur parcours. L’une de ses missions est d’être à l’écoute des patients et de leurs proches, et de veiller à ce que la prise en charge globale de la maladie se fasse au mieux, en particulier dans la continuité des soins entre l’hôpital et le domicile.

Daniel Delgadillo est psychologue clinicien et neuropsychologue dans le service de neurologie Mazarin à la Salpêtrière depuis quinze ans. Il a une double compétence : il évalue les fonctions intellectuelles des patients avec des tests spécialisés qui font partie de la surveillance des patients avant et après traitement, et en parallèle prend en charge les patients désireux d’une aide psychologique.

Tous deux sont impliqués dans le groupe NOSS (Neuro-Oncologie Soins de Support) coordonné par le Dr Florence Laigle-Donadey et participent à la réflexion sur l’amélioration de la qualité de vie des patients souffrant de tumeur cérébrale. Ils ont accepté de répondre à nos questions sur leur projet commun, qui a trait aux retentissements de la maladie sur la vie sexuelle des patients, aux moyens pour y remédier.

Pourquoi s’intéresser à la sexualité des patients ?

Marie-Dominique Cantal-Dupart : La sexualité fait partie intégrante de la santé mais elle n’est prise en compte par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que depuis 2003. Les troubles de la sexualité ont un grand impact sur la qualité de vie des patients ainsi que sur leur bien-être psychosocial et émotionnel. Bien qu’ils soient fréquents dans les pathologies neurologiques, il existe pourtant peu de recherches et peu d’informations sur la sexualité des personnes atteintes de tumeur cérébrale.

Lors des rencontres entre le personnel soignant et les patients, qu’elles aient lieu à l’hôpital de jour, en consultation ou en hospitalisation traditionnelle, la sexualité est abordée par le biais des effets secondaires ou par celui de la plainte directe des patients.

Daniel Delgadillo : Nous avons remarqué que, souvent, l’approche de la santé sexuelle était plus facile avec l’équipe paramédicale ou les psychologues qu’avec l’équipe médicale. À la suite de cette observation, nous sommes intéressés à la formation de « Conseiller en santé sexuelle et droits humains ».

Quels sont les objectifs de cette formation ?

Daniel Delgadillo : Cet enseignement diplômant forme à l'écoute, aux conseils et à la prise en charge des problèmes posés par la sexualité. Il s’appuie sur différentes approches : sexualité, santé sexuelle et société ; approche clinique de la sexualité ; santé publique et sexualité ; approche psychologique de la sexualité et les difficultés sexuelles ; sexualité, maladie et handicap ; VIH et infections sexuellement transmissibles ; santé reproductive et sexualité ; abus, violences et mutilations ; éthique et problèmes de société. Bien entendu, nous cherchons à puiser dans toutes ces connaissances ce qui peut nous aider à mieux accompagner nos patients en souffrance.

Vous avez tous deux suivi cette formation ; quel bénéfice en avez-vous tiré ?

Marie-Dominique Cantal-Dupart  : Il s’agit premièrement de nous permettre, à nous, soignants, d’avoir une approche pluridisciplinaire des différentes thématiques de la santé sexuelle afin de mieux la comprendre ; puis dans un deuxième temps de l’aborder en situation individuelle. Pendant la préparation de ce Diplôme Universitaire, nous avons bénéficié d’un temps important pour nous former à l’entretien autour de cette problématique.

Quels sont les troubles sexuels possibles ?

Daniel Delgadillo : Tout individu, même en dehors de toute pathologie particulière, peut connaître dans sa vie des difficultés sexuelles. Dans la pathologie cérébrale, les troubles les plus fréquents sont la baisse du désir, les troubles de l’érection et la peur de ne plus être désirable pour le (la) partenaire... Ils peuvent être induits par la maladie elle-même, y compris le handicap physique et cognitif qu’elle peut entraîner, par l’annonce du diagnostic, mais aussi par les traitements.

À quel moment le sujet de la sexualité est-il abordé ?

Marie-Dominique Cantal-Dupart : Notre observation s’appuie sur le fait que ce sujet doit nécessairement être abordé à un moment ou à un autre avec le patient. En tant qu’infirmière référente, je l’aborde dès la consultation d’annonce paramédicale. Cela se fait souvent quand on évoque les effets secondaires des traitements. Nous n’oublions pas de soulever la question de la fertilité avec les patients en âge de procréer.

Daniel Delgadillo : En tant que psychologue, j’observe que les patients peuvent faire surgir la thématique de la sexualité lors d’entretiens individuels, à n’importe quel moment du parcours. Il est important de souligner que les échanges entre professionnels et patients sont confidentiels et anonymes, et que nous sommes tenus au secret professionnel.

Marie-Dominique Cantal-Dupart : Le patient doit savoir qu’il peut demander à n’importe quel moment un entretien avec l’un d’entre nous, seul ou avec son partenaire, qui peut, lui aussi, bénéficier d’un soutien.

Ce sujet, qui peut faire sourire, doit être traité avec beaucoup de délicatesse dans le respect de l’intimité, des différentes pratiques et des préférences de chacun, et en accompagnant la souffrance et la détresse que peuvent produire les troubles sexuels.

Quels sont les projets du Service de neuro-oncologie pour la prise en charge des troubles sexuels ?

Marie-Dominique Cantal-Dupart : Actuellement, nous nous entretenons avec nos patients et, si besoin, nous les dirigeons vers d’autres professionnels (par exemple un médecin pour une prescription médicale). Mais nous avons le projet de créer, à l’hôpital, un réseau de professionnels (urologue, gynécologue, oncosexologue) concernés par les troubles sexuels des patients atteints de tumeur cérébrale, qui serait en lien direct avec nous, un tel réseau favoriserait une prise en charge des patients plus rapide.

Daniel Delgadillo : Nous continuerons aussi à collaborer avec les autres unités de neurologie qui travaillent sur la même thématique dans d’autres pathologies pour bénéficier d’autres expériences. Nous comptons aussi poursuivre notre formation universitaire pour enrichir nos compétences en matière d’accompagnement et gagner en autonomie dans la prise en charge. Mais d’ores et déjà, nous sommes en mesure de répondre aux questionnements des patients qui ne doivent pas hésiter à nous contacter s’ils le souhaitent.

Cet interview a été publié dans la Lettre semestrielle de l'ARTC de décembre 2014.